Vernissage le 1er juillet 2023 à 18h
« … la pourpre des montagnes est exactement pareille à la pourpre des flots, et le tranquille midi d’août plane sur les prés profonds… »
(Herman Melville, La Véranda)
Il s’abandonne au hasard du médium sans renoncer à sa maîtrise. Incontournable visage de l’art non figuratif, il dessine sur le motif et affirme qu’il ne peint que ce qu’il voit. Sa peinture, méditative, s’inscrit dans de foisonnantes références à une histoire de l’art qu’il embrasse avec ferveur. Ses papiers de petits formats et ses toiles monumentales offrent la même intimité, entre délicatesse et âpreté. Gérard Traquandi, né en 1952 à Marseille, n’est pas à un paradoxe près. Ce sont ces tensions, qui in fine se résolvent en une respiration heureuse dans la couleur, que propose de mettre en musique la galerie Catherine Issert, treize ans après leur première collaboration.
Gérard Traquandi commence sa production artistique à la fin des années 1970 avec des expérimentations photographiques. Cette pratique le stimule alors particulièrement en ce qu’elle lui offre un terrain pour traquer les phénomènes optiques et interroger les notions d’impression et d’empreinte. Lui qui rêvait de devenir guide de haute montagne est fasciné par la trace et s’aventure sur les pistes qui vont de la sensation à sa restitution à la surface de l’œuvre. Mais c’est sans conteste le travail sur papier qui nourrit, dès l’origine, son langage plastique. « Je dessine pour regarder, je ne regarde pas pour dessiner», déclare la plus figurative des figures de l’abstraction contemporaine. L’observation amoureuse de la nature, l’appel du paysage s’alanguissent sur le papier. Ses aquarelles aux accents cézanniens – ne travaille-t-il pas lui aussi dans la campagne aixoise ? – disent le vibrant des feuillages. C’est un charme antique qui s’en dégage çà et là, et nous transporte au cœur d’un jardin italien de Fragonard ou de Corot.
Les sujets – bibliques ou traditionnels tels des paysages, des natures mortes et des autoportraits – content une histoire séculaire, mais traduisent aussi la liberté tenace qui le guide : c’est un jeu plus qu’une lutte avec l’élément liquide de l’aquarelle que mène ce brillant technicien. Les grilles de ses pages de carnets rappellent toutefois que la maîtrise et le contrôle ne sont pas loin dans cette dialectique sensuelle. Le trait d’encre ou de crayon se fait parfois vif et nerveux, sismographique, et le dessin devient écriture. Cette quête passionnée du paysage trouve son apogée dans la peinture. Au seuil des années 2010, Gérard Traquandi forge une méthode pour, dit-il, « se libérer de son propre geste », éviter la touche, et mettre l’expressivité à distance. Il travaille à plat de fines couches de glacis, plaque sur la toile une feuille de papier chargée de peinture, puis l’en retire. Il cherche l’accord coloré, affine scrupuleusement sa technique pigmentaire, tout en laissant l’accidentel entrer dans la danse. Ces all over impressionnants transcrivent l’impression primaire de la nature, l’aléa climatique, tout en se parant de couleurs irréelles, des verts industriels, des pourpres mystérieux, des roses à la De Kooning ou à la Guston. Le tableau ne restitue pas l’intériorité de l’artiste : il est une surface ondoyante – aquatique ? minérale ? réverbération chaude ou surface enneigée ? –, une peau, et, au-delà, une chair. Traquandi ne s’interpose pas entre le spectateur et l’œuvre, et ce n’est d’ailleurs pas simplement à la vue que s’adresse son travail, mais au sujet incarné tout entier. On comprend dès lors que sa pratique s’épanouisse naturellement dans la sculpture et dans la céramique, support qui dit son attachement au sol et à la terre, à la trace, à l’empreinte laissée par le corps.
L’exposition « Gérard Traquandi, L’été », qui se tient à la galerie Catherine Issert du […] au […] 2023, donne à voir cette grammaire du sensible en présentant des dessins, des aquarelles, des peintures et des céramiques. L’été méridional est célébré à Saint-Paul-de-Vence, celui du Sud mythique dont se sont emparés Matisse et Bonnard, lesquels ont nourri le regard de l’artiste marseillais qui a dessiné l’Estérel, la Corse, le Lubéron ou la Toscane. Sud de la lumière avant tout, au cœur d’un lieu baigné de clarté. Pour Gérard Traquandi, évoquant les primitifs italiens, la lumière doit venir du tableau. Et les regardeurs de s’y exposer, s’abandonnant ainsi au saisissement de la nature.