Édition publiée dans le cadre de l'exposition RELIEF de Marine WALLON
du 29.06 au 31.08.24 à la galerie Catherine Issert
Exposition réalisée avec le soutien aux galeries du CNAP Centre national des arts plastiques
Édition publiée à 300 exemplaires
Texte de Dominique Païni
Graphisme de Antoine Caquard
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Les intermittences du paysage
La première rencontre avec la peinture de Marine Wallon m’avait offert une expérience qui m’étonna. Je découvrais des propositions devenues assez peu fréquentes en peinture contemporaine depuis que la photographie et le cinéma sont advenus : visions du lointain et condensations de vastes étendues sur des toiles de taille modeste que les vertus optiques de la caméra et sa mobilité ont rendu ordinaires visuellement. Et l’abstraction ne triomphait pas comme si Marine Wallon tentait de résister aux enchaînements fameux du type « de Monet à Joan Mitchell » qu’une exposition a illustrés récemment.
Je supposais alors que cette jeune peintre voulait s’affronter et se mesurer avec ceux et celles qu’elle admirait. Mais sa démarche n’était pas vaniteuse. Marine Wallon était obsédée en revanche par ce mouvement de bascule, d’équilibre instable, ce moment où le paysage peint est au bord de cesser d’être reconnu tel, c’est-à-dire, de « n’être plus que » composition abstraite de taches et de traits colorés. Ou, à l’inverse, ce moment auquel l’abstraction « devient paysage ».
J’en concluais que Marine Wallon était une exceptionnelle peintre contemporaine de paysages qui me rappela cette formule de Fontenelle, trop souvent, empruntée, mais non sans raison: « un paysage dont on aura vu toutes les parties, l’une après l’autre, n’a pourtant point été vu ; il faut qu’il le soit d’un lieu assez élevé, où tous les objets auparavant dispersés se rassemblent d’un coup d’œil ». En effet, j’étais frappé que le recours très fréquent de l’artiste à la contre-plongée contribuait à résister aux perplexités séductrices de l’abstraction et imposait ainsi une puissance fauve de paysages.
Ces derniers demeuraient pourtant sur cette crête hypnotique et je me réjouissais de ces suspens très stimulants pour la vision : il me fallait un peu de temps pour qu’un paysage s’impose et qu’il me soit impossible de revenir en arrière. Marine Wallon démontrait ainsi, pour moi, qu’un paysage n’est pas affaire d’espace ; c’est du temps au cours duquel il s’instaure et s’identifie tel dans notre regard. C’est l’insistance et la durée de notre attention qui fait de l’extraction d’un moment quelconque du monde, un paysage. Comme dit « l’autre » célèbre, c’est le regardeur qui fait le tableau et j’en conclus depuis que c’est la manière dont Marine Wallon, amatrice de cinéma, intègre également la troisième dimension du temps dans sa peinture.
L’introduction de la figure humaine, parfois à peine esquissée, au sein de très larges étendues de couleurs, a été une autre de ses virtuosités figuratives qui n’est pas sans faire songer à la tradition de la peinture classique. Je pense aux personnages empruntés à la mythologique antique et au récit biblique que Nicolas Poussin installait discrètement, presque à l’insu de notre perception, personnages engloutis dans les profondeurs paysagères, enfouis sous les pesantes ramures de forêts qui capturent le regard et nous font oublier l’églogue qui justifia l’œuvre peinte.
Aujourd’hui, Marine Wallon continue cette expérimentation de l’intermittence, du mouvement entre paysage et abstraction, expérimentation picturale née il y a plus de cent cinquante ans à l’époque de l’apparition des images animées, du cinématographe, qui firent de l’instabilité un mode inédit de plasticité.
Dans ses toiles de grand format, elle accentue toujours les contre-plongées. Dans ses toiles de moyen et petit format, elle s’amuse des trouvailles de sa méthode en glissant dans l’espace infime, entre deux grandes surfaces brossées et colorées, des petits navires qui évoquent de dangereux naufrages. C’est Turner qui revient avec humour dans notre mémoire. Ou c’est encore le clin d’œil que Marine Wallon fait à Hokusai, contredit, en une même désinvolte liberté, par des arbres frêles qui dérangent le lyrisme épuisé d’une montagne devenue publicitaire. Et elle suggère par de minuscules bâtonnets des promeneurs qui révèlent ainsi une étendue neigeuse à perte de vue.
La peintre s’amuse (et nous profitons de ses facéties) à expérimenter des interventions les plus minimales qui soient pour détourner l’abstraction - que ses premiers gestes inaugurent sur la toile -, au profit du paysage.
Et comme si ce mouvement de l’image ne lui suffisait pas, elle s’essaie désormais aux polyptiques. Marine Wallon quitte alors les points de vue élevés et tente la folle entreprise de plonger dans ce qu’elle ne contempla que de très loin jusqu’alors : la mer et ses profondeurs habitées.
Digne des visions à travers les hublots d’un sous-marin que Jules Verne aurait pu décrire, Marine bien nommée, nous entraîne dans des chorégraphies d’algues et de méduses à vingt mille lieues sous des couches de couleurs.
Dominique Païni
mai 2024