Commissariat : Clément Nouet
Peintre, performer, curateur, collectionneur, éditeur, galeriste, John Armleder (1948, Genève) est une figure majeure de l’art contemporain. Son œuvre est littéralement polymorphe : elle n’est pas identifiable à un médium, une procédure, un style ou un univers esthétique. Son travail se déploie sous de multiples apparences, se répète ou se métamorphose, sans jamais se développer autrement qu’au gré des circonstances.
Le titre de cette exposition "Yakety Yak renvoie à l’idée souvent exprimée par John Armleder selon laquelle les œuvres d’art n’ont pas besoin des artistes dans la mesure où l’art résulte d’un ensemble de circonstances historiques, économiques et sociales. Ce sont ces circonstances qui « créent », sous couvert, en somme, des artistes. Face à la méfiance et à l’anxiété du moment, John Armleder propose avec humour (toujours !) un grand « bla bla bla » au Musée régional d’art contemporain Occitanie à Sérignan, nous invitant à partager nos émotions communes et des échanges de regard.
Les débuts en art de John Armleder (John Michael Armleder, dit) s’effectuent sous le signe du collectif. En 1969, il constitue à Genève, aux côtés de Patrick Lucchini et Claude Rychner, le groupe Ecart, qui développe ses activités dans un local tenant lieu à la fois de galerie, de librairie et de maison d’édition. John Armleder y accueille notamment le visiteur avec une tasse de thé, l’invitant à une discussion sur l’esthétique. Durant les années 70, la pratique performative de l’artiste est ainsi marquée par l’esprit néo-dada de Fluxus, qui cherchait à annuler les frontières entre l’art et la vie.
Au début des années 80, John Armleder s’inscrit dans le mouvement de la post-modernité et revendique un engagement politique et social. Il utilise l’objet comme ready-made qu’il juxtapose avec les toiles abstraites. Cette série intitulée Furnitures Sculptures et dont une nouvelle pièce sera présentée dans l’exposition, sont des œuvres hybrides associant peinture et mobilier (bancs Jean Prouvé, sofas Ublad Klug et Ueli Berger, lit Superstudio…) et témoignant d’une totale rupture avec le grand récit moderniste de l’autonomie de l’œuvre d’art.
John Armleder manipule, sans souci de hiérarchie, tableaux abstraits, planches de surf, assiettes blanches, sapins de Noël, tubes néons ou boules à facettes, le tout se côtoyant selon un principe d’équivalence généralisée. L’objet utilitaire est élevé au rang de sculpture, moins dans une logique de transgression que de mise à mal de la valeur artistique. Depuis 15 ans, John Armleder ressaisit l’exposition comme médium à part entière et joue sur la saturation de l’espace, l’effondrement des genres et un glissement entre l’art et le décoratif.
Tour à tour associé au mouvement Néo Géo, à l’appropriationnisme ou à la Commodity Sculpture, le travail de John Armleder échappe cependant à toute tentative de classification en convoquant un vocabulaire plastique hétérogène, qui semble souligner l’inévitable réification de l’art, la fatalité de procéder à son propre pastiche. Dans le grand brassage stylistique qui caractérise son œuvre, la peinture abstraite tient une place essentielle. Il se réapproprie le vocabulaire classique de l’abstraction, ses bandes, cercles ou coulures. Pour l’exposition, l’artiste genevois a produit trois nouvelles peintures dont une Puddle Painting (peintures en flaques) de 10 m de long et une nouvelle coulée de 6 m de long. Réalisées par déversement de matériaux hétérogènes à même la toile (peinture acrylique, vernis, liquides pour surfaces extérieures, mais également poudres, confettis, paillettes et petits objets décoratifs), ces peintures sont élaborées selon un mode doublement aléatoire : leur dépôt sur la surface à peindre n’est pas contrôlé par un geste de maîtrise artistique et leur mélange provoque un changement chimique de leurs propriétés originelles, tant sur le plan chromatique que physique. Cette technique picturale, permet à l’artiste de programmer une perte de contrôle, de déclencher des accidents et des éruptions inattendues, bref de combiner le « lâcher prise » cher à John Cage avec « une forme d’expressivité sans subjectivité ».
On l’aura compris, l’exposition Yakety Yak consacrée à John Armleder au Mrac à Sérignan est inclassable et généreuse comme l’artiste, élégante comme le dandy qu’il est, piquante comme cet « Apache » genevois et riche d’émotions comme ce somnambule pince-sans-rire. Ici plus besoin de parler pour ne rien dire, seulement se laisser porter par le regard et la musique du youkoulélé que l’artiste affectionne tant.
John Armleder est né en 1948 à Genève (Suisse), où il vit et travaille.
John Armleder est une figure singulière de l’art d’après-guerre et l’un des artistes suisses les plus représentatifs de sa génération. Sa carrière synthétise plusieurs développements esthétiques importants. Humour et provocation conceptuelle animent ses premiers travaux avec le Groupe Ecart en Suisse, ses projets en association avec le mouvement Fluxus et son intérêt pour le travail de John Cage en particulier. Depuis, il a participé à l’aventure contemporaine de la peinture, de la sculpture, de l’installation, du design et de la performance. John Armleder opère sur plusieurs fronts à la fois, puise dans l’héritage de mouvements apparemment divergents tels que Dada et l’expressionnisme abstrait. Il aborde chaque exposition comme une oeuvre sans compromis et souvent imprévisible.
John Armleder a fait l’objet de nombreuses expositions personnelles à travers le monde. Au cours de la dernière décennie, il a présenté des expositions monographiques au Rockbund Art Museum, Shanghai (2021) ; KANAL – Centre Pompidou, Bruxelles (2021) ; Aspen Art Museum, Colorado (2019) ; Schirn Kunsthalle Frankfurt, Allemagne (2019) ; MUSEION, Bolzano, Italie (2018) ; Museo Madre, Naples, Italie (2018) ; Istituto Svizzero, Rome (2017) ; Le Consortium, Dijon, France (2014) ; Musée National Fernand Léger, Biot, France (2014) ; Dairy Art Centre, Londres (2013) ; Swiss Institute, New York (2012) ; et Peggy Guggenheim Collection, Venise, Italie (2011)…
Il a également participé à de nombreuses expositions collectives : « Ice and Fire : A Benefit in Three Parts », The Kitchen, New York (2020) ; The Artist is Present, Yuz Museum, Shanghai (2018) ; « The Trick Brain », Aïshti Foundation, Beyrouth…
Son travail est présent dans de nombreuses collections à travers le monde : Centre Pompidou, Paris ; Getty Research Institute, Los Angeles ; Kunstmuseum Basel, Suisse ; Museum of Modern Art, New York ; Louisiana Museum of Modern Art, Humlebæk, Danemark…