L’artiste se souvient avoir eu un jour au musée des Beaux-Arts à Anvers ce sentiment très vif que les peintures nous regardent autant qu’on les regarde et dans la traversée des temps. Bien plus tard, ce sentiment ne cessera de l’accompagner lors de ses visites quasi hebdomadaires au Metropolitan Museum de New York lors des dix années où il partagera sa vie entre cette ville et Nice.
Ces visites se déroulaient suivant un parcours assez régulier commençant par les peintures romaines, La Femme au perroquet de Manet, Le Christ couronnée d’épines d’Antonello da Massina, La jeune femme à l’éventail de Rembrandt plus tard Le Docteur Jabach et sa famille de Charles Le Brun et puis des variations, et s’articulaient autour d’un artiste qui est un des portraits peint par Cézanne, Madame Cézanne penchée robe pourpre/prune. Or de ce portrait vu des dizaines de fois, il est toujours resté incapable en l’évoquant d’en retrouver la géométrie, l’attention étant toute entièrement consacrée à la robe vue comme un univers.
C’est cette capacité de la peinture à fabriquer un univers (et deux traits peuvent suffire) qui ne cesse de le fasciner : comme un Big Bang permanent (peu importe si le modèle est aujourd’hui discuté l’idée demeure). S’il a d’abord commencé dans l’abstraction minimale (exposition chez Malabar et Cunégonde en 1974), puis continué dans la figuration (même espace, 1976), le travail de Denis Castellas ,n’a cessé d’évoluer à l’aune de ses contradictions. De la fin des années 90 à aujourd’hui, c’est la peinture qui requiert à nouveau toute son attention ainsi que tous ses efforts. Totalement indifférent aux tiroirs historico-théoriques, il ne cesse de s’interroger sur l’espace pictural et le « pictural » assimilé (associé) au « vivant ».
Denis Castellas a commencé à peindre au moment même où les mouvements de l’avant-garde artistique affichaient leur détermination à ramener la peinture à son degré zéro, à la soumettre aux objectifs de transparence et de neutralité totales, à l’assujettir au principe de la seule autoréférentialité. La peinture ne renvoyait plus qu’à elle, dans une relation tautologique que résumait parfaitement la formule de Franck Stella, selon laquelle : « Ce que vous voyez est ce que vous voyez ». Le pigment pur sorti directement du pot, sans intervention de l’artiste, devenait le projet paradigmatique de toute la peinture.
Le choix de Denis Castellas a été et est encore tout autre. Au degré zéro, cher aux minimalistes, il oppose volontiers le second degré, engageant avec la peinture, non un dialogue de sourds mais des échanges, discrets, fragiles, subtils, « en sourdine » pourrait-on dire, avec les œuvres des grands maîtres comme avec des objets visuels, dérobés ici et là dans son environnement quotidien et qu’il garde précieusement dans sa mémoire comme autant de dépôts sédimentaires susceptibles de fleurir. Ainsi cette forme blanche, opalescente ou plus affirmée dans ses contours et sa texture, peinte au milieu de la toile et autour de laquelle gravitent d’autres formes en constellation, est issue du souvenir lointain d’une tête dessinée par Matisse ; la même tache blanchâtre peut accueillir en son sein ou autour d’elle, une armée de petits personnages figuratifs, une farandole de motifs colorés, une série d’empreintes faite au pochoir… Les images accumulées dans la mémoire de l’artiste – les tableaux des artistes admirés, une simple vignette de bande dessinée, des objets seulement entraperçus mais aussitôt retenus pour leur aspect, leurs couleurs ou pour toute autre raison... – affluent un jour à la surface de la toile, prennent forme, recouvrant souvent un travail précédent, non pour nier ce dernier (des traces bien visibles attestent encore de ce qui a été) mais pour poursuivre et alimenter le dialogue instauré. Le mot palimpseste a été quelques fois utilisé pour parler de l’œuvre de Denis Castellas mais nous pensons qu’il peine à rendre compte de sa démarche. De fait, l’étymologie du terme : « gratté à nouveau » implique un ponçage, un effacement, une destruction de ce qui figurait auparavant. Dans les œuvres de l’artiste, les traces de la peinture antérieure subsistent, non passivement comme simples indices du passé, mais activement, engendrant fréquemment de nouveaux motifs ou des formes inédites. En ce sens, nous préférons au terme palimpseste, mal accordé au travail de Denis Castellas, l’amusant mot-valise de Gérard Genette – palimpsestueux – qui dit si bien sa relation complexe et cependant riche et féconde avec la famille des artistes comme avec les éléments de son environnement familier.
Maurice Fréchuret
Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, France
Musée Picasso - Antibes, France
MAMAC - Nice, France
Musée de Strasbourg, France
Musée de Nimes, France
Base d'essai en vol, Istres, France
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FNAC - Ile de France, France
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