Né en 1940 à Cahors.

Vit et travaille dans les Alpes-Maritimes.

 

Bernard Pagès est un sculpteur français contemporain né à Cahors dans le Lot en 1940. Il participa à l'aventure Supports/Surfaces. Il arrive en 1959 à Paris. C'est à l'Atelier d'Art Sacré qu'il prend conscience de l'accessibilité de la sculpture. En 1967, l'artiste abandonne la peinture et la sculpture traditionnelle après une exposition des Nouveaux Réalistes à Nice.

Bernard Pagès initie le mouvement Supports/Surfaces en 1967. Il utilise des matériaux abandonnés pour réaliser ses sculptures, puis il assemble briques, bois, carrelage, pierre, gravier, tuyaux... Il classe ses ensembles par Inventaires, Nomenclatures, Enumérations. Au fil du temps, son travail s'oriente vers des oeuvres de plus en plus colorées et baroques.

S'affranchir de la sculpture

C'est une sculpture qui ne dénie pas le tour de force. Voilà qui est encore plus inconvenant que de vouloir faire quelque chose de beau. Les prouesses qui trouvent grâce à nos yeux ont au moins l'âge de la tour Eiffel. Le bon goût commanderait aujourd'hui de se fondre, de déplacer seulement d'un iota ce qui existe déjà. Pagès n'a que faire du goût. Il aime pousser le corps dans ses retranchements, le forcer, le fatiguer, les coureurs à pied l'émeuvent aux larmes et plus encore les trapézistes, non pas tant l'autorité du spectacle de la prouesse que la gracilité de ceux qui l'accomplissent, leur vulnérabilité suspendue dans le vide, leur fragilité outrepassée. Le tour de force n'implique pas comme une évidence l'autorité du spectacle encore moins le tonitruant. 

Les sculptures de Pagès fuient l'autorité comme la peste, l'autorité qu'elles pourraient avoir en premier lieu. Les plus grandes d'entre elles n'imposent pas, elles n'imposent pas leur présence envahissante, grandiose. Elles ne sont pas grandioses. Elles ne rivalisent pas avec les dieux mais elles leur tiennent tête en esquivant habilement leurs foudres qui pétrifient. Le tour de force consiste aussi à garder leur ténuité même lorsqu'elles regardent de haut. Elles ont l'air de se frayer un passage dans le vide, elles n'essaient pas de le combler. Elles aussi, elles ont peur du vide mais elles n'ont pas la prétention de le colmater, elles pactisent avec lui en s'immisçant, en le trouant le plus délicatement possible. Proue de béton vert tendre qui fend la mer invisible, creux dorés d'une colonne penchée encore sur la nuit, crêtes doucement hérissées, déroulements de métal, branche d'os qui, par-dessus le marché, fait la nique au vide dont la Déjetée est gonflée.Les matériaux sont contraints, ils sont contraints de montrer qu'ils sont en vie, le travail de Pagès nous révèle que les matériaux cachent leur jeu d'atomes, d'électrons, cette agitation qui nous est invisibles. Ces sculptures ont bien plus horreur de ce qui est caché que du vide dont il arrive qu'elles s'emparent. 

Le fer est vivant, cette chose lourde, inerte, est vivante. La preuve en est que lorsqu'on le chauffe le fer se dilate et se contracte en refroidissant bien plus qu'il ne s'est dilaté, ne retrouvant pas ainsi son état initial, cette stabilité qui ne l'affuble pas irrémédiablement. Le fer, le fer surtout, le plus froid est le plus vivant, le plus voluptueusement déployé, cheveux ondulés (onduler ses cheveux au fer), cheveux crêpelés flottant parfois au vent, les cicatrices de la soudure ont disparu, la meule les a fait dans la chair du fer, chair si délicate qu'une baguette menue (baguette de chef d'orchestre, de chercheur d'eau, baguette de cavalier, baguette de fée bien sûr) et un arc électrique, aveuglant il est vrai, suffisent à l'assembler, à l'unir à elle-même. Il ne faut pas souder à visa découvert, il faut se protéger d'un masque, on pense à la ruse de Persée pour voir Méduse dont il doit couper la tête sans affronter le regard qui change en pierre. Persée pour désassembler le corps de Méduse se sert quant à lui d'un bouclier de bronze poli qui réfléchit le monstre comme un miroir mais l'enjeu est le même, il s'agit d'éviter à tout prix la pétrification, de rendre le fer ondoyant, de couper la tête de la statue. Méduse n'a-t-elle pas des mains de bronze et son corps n'est-il pas couvert d'écailles? Toute l'oeuvre de Pagès fait le gros dos, se hérisse devant le coulage en bronze. Du cou mutilé de Méduse sort Pégase, le cheval ailé, piaffant comme les courbes argentées de métal, crinières de fer délivrées de la raideur.C'est une sculpture qui ne se défile pas mais qui se fait la belle.C'est une sculpture qui s'ingénie par tous les moyens à se faire la belle.C'est une sculpture qui est dans l'inconfort, dans le danger cette échappée.

Maryline Desbiolles, extrait du catalogue Nous rêvons notre vie, collection Pérégrines, éditions du Cercle d'Art, Paris, 2003